DANCING WITH THE SHARKS A FAKARAVA:
Si demain , les jeux olympiques des plus belles destinations
plongée étaient créés, nul doute que la Polynésie constituerait une des plus
importantes délégations. Emmenée par ses champions historiques -Moorea
et son feeding, ou Rangirora et sa grotte
-une vingtaine de sites pourraient représenter la centaine d'îles des 5 archipels
qui couvrent un territoire aussi grand que l'Europe en plein milieu du pacifique.
Mais les anciens champions à la réputation sûre , ferraient bien de se méfier
de la dernière star naissante dont les recruteurs - pionniers des nouvelles
destinations- disent qu'elle sera la championne de demain.
Son nom: Tuamotu (du nom du plus grand des archipels
de la Polynésie), son prénom: Fakarava , désignant
le nom de cet atoll géant , situé à 250 milles au nord est de Tahiti; 100
milles à l'est de Rangirora , sa grande soeur.
Arrivé par l'avion quotidien de Papeete, nous découvrons d'en haut notre nouveau
terrain de jeu qui nous parait immédiatement immense.
Fakarava représente l'atoll typique , avec son
lagon intérieur couleur bleu carte postale, et son anneau de corail concentrant
la vie humaine. Ce lagon là est immense , plus de 1000 km2 , encerclé par
une barrière composée de milliers de "motu" (îlots ) où les cocotiers représentent
l'exception verte.
Avant de poser nos roues sur le bitume , notre œil vif de chercheur d'or a
repéré la plus belle des mines: la grande passe situé au nord de l'atoll ,
proche de l'aéroport et du village principal. C'est là que l'on nous a prédit
de voir en une plongée la version " remastérisée avec make of " du film retraçant
nos 10 années de mer rouge , Maldives, Indonésie, Caraïbes
ou océan indien . Tout cela parait un peu extravagant et notre impatience
grandit pour aller vérifier que la mariée est aussi belle que rêvée.
Sur place notre guide s'appelle Jean-Christophe Lapeyre
. Arrivé sur l'atoll il y a 3 ans , marié à une tahitienne , possédant tous
les diplômes qu'il faut pour " frenchies ou Padistes " Jean Christophe est
devenu le maître de la plongée à Fakarava. Son
premier centre fut installé sur la passe sud ( 2 heures de bateau de l'aéroport);
puis JC est venu mouiller son bateau ultra moderne sur la passe nord devenue
son jardin privé.
AU GRE DU MASCARET:
Fakarava représente la plongée type de la passe d'un
atoll. L'intérêt ne se trouve pas à l'intérieur (du lagon ) , ni à
l'extérieur mais au milieu. Ici , la mer a des allures de Bretagne avec ses
marées de 6 heures pendant lesquelles le courant remplie ou vide l'immense
étendue d'eau que représente le lagon .Principe commun a tous les atolls coralliens
du pacifique ou d'ailleurs ; mais la différence majeure réside dans la
largeur de la passe nord (1,6km de large ) , ce qui agrandit considérablement
le terrain de jeu par rapport aux autres passes existantes .Cette qualité
géographique naturelle a une conséquence immédiate : quelle que soit l'heure
ou l'époque , la passe a des allures de congrès mondial des poissons. C'est
presque l'embouteillage de nos autoroutes un jour de départ en vacances.
Le principe de la plongée consiste à descendre un peu l'extérieur , de tomber
sur la fracture océanique (quand elle existe ) et de dériver
dans des courants rentrants plus ou moins forts jusqu'à l'intérieur
du lagon pour finir et dégazer sur des platiers tout aussi surpeuplés. Bien
évidemment cela n'est possible qu'à marrée montante (courant rentrant); sinon
la plongée s'effectuera uniquement sur les abords intérieurs de la passe ,
en évitant soigneusement d'aller se perdre au milieu de celle ci , là ou courant
sortant et houle du large s'affrontent violemment et forme le mascaret- une
immense cacophonie de clapot , marches d'eau , courants descendants ou contraires
.
Durant ces heures , le mascaret rend l'accès quasiment impossible aux baignades
, voir par gros temps à toute sortie de l'atoll. Ainsi le mascaret rythme
sens et heures des plongées et révèle une technicité de la plongée que le
bleu azur du lagon rend insoupçonnable. La passe nord , sous ses allures d'enfant
sage et obéissant demande assurément une très bonne maîtrise de la dérivante
, et une connaissance parfaite du site.
Autre particularité unique: la passe ne présente pas vraiment de fracture
océanique , généralement présente dans les passes des atolls. Ici , au sortir
du lagon , un semblant de mur sur toute la largeur remonte doucement vers
l'intérieur mais plonge immédiatement vers des profondeurs interdites à "
l'homme-bouteille " (3 000 metres).
La présence de courants et contre-courants oblige à une vigilance permanente
pour ne pas être emporté vers un voyage dangereux. Heureusement la très grande
superficie du terrain permet beaucoup d'itinéraires de délestages parfaitement
sécurisés , et ne lasse pas celui qui veut voir du pays.
PLACE DE LA CONCORDE, JOUR DE DEFILE:
Ce sont ces conditions géologiques uniques qui permettent à cette passe d'être
un véritable bottin mondain de tout ce qui nage dans le pacifique , du poisson
clown par douzaine aux gros pélagiques par palanquées de dix.
Un fois lâchés dans le bleu transparent de la passe
, jour de rentrant , la première descente en pleine eau nous indique
ce courant qui va nous driver à son rythme. Immédiatement , nous avons l'impression
de pénétrer un amphithéâtre ou se joue un classique de l'opéra . Silence,
les pélagiques tournent!. On ne sait si c'est une répétition classique , ou
s' ils nous ont attendus pour nous offrir une avant première. Accrochés au
premier caillou qui passe (vers 35 mètres ) , nous pouvons contempler les
pas et sauts de centaines de requins , barracudas
, dauphins, qui composent le corps principal de la troupe . Ici les raira
(requins gris de récifs ) donnent la réplique à des pointes blanches pour
une balade endiablée. Au delà, les océaniques (pointes blanches , soyeux)
ne se mélangent pas à la troupe et paradent fièrement la tète haute sans se
soucier de nous .
Parfois dans un coin de la scène, une
troupe de dauphins nous interprètent leur ronde favorite tournoyant
de bas en haut avec la grâce d'une ballerine; ils attirent l'oeil et on ne
peut s'empêcher de vouloir participer à ce jeu bien trop dynamique pour nos
capacités aquatiques . Au dessus d'eux , les bancs de barracudas resserrent
les espaces pour nous prouver que les requins ne sont les seuls acteurs de
ce spectacle. Parfois, mais c'est un privilège rare , une star (les gros et
solitaires marteaux, ou tigres, remontés des profondeurs) vient faire une
démonstration, pour notre bonheur , même si un profond sentiment de peur et
d'impuissance se mêle à ce moment unique .
Mais bientôt , nos ordinateurs sonnent l'entracte .Nous lâchons notre cailloux
et nous laissons emporter par le jus qui nous oriente vers le sortie du théâtre.
Au delà du mur , le relief du fond qui remonte vers la zone des vingt mètres
ressemblent aux défilés des îles volcaniques .De nombreux canyons au dessus
desquels nous volons comme l'homme araignée, rendent la remontée excitante.
Nous pénétrons dans un nouveau monde , encore plus peuplé que le précèdent.
C'est ici le début du centre ville d'une métropole ou cohabitent les coralliens
et les pélagiques.
Certes, Fakarava n'est pas l'unique lieu de domiciliation des napoléons
, mérous, loches, perroquets, carangues, bonites,
anges ou demoiselles (pour ne citer que les plus importantes populations
) mais leur nombre, et parfois leur corpulence bien au dessus de la moyenne,
nous rappellent la richesse de nos civilisations anciennes disparues: la lumière
des Incas, l'ordre de Rome, la puissance d'un Pékin impérial.
En dessous, l'atoll nous a révélé également ses fondements. Le corail formé
depuis des siècles a poussé sur toute l'entendue du site. Peu d'espace de
sable entre les milliers de patates colorées abritant la faune
corallienne (murène , crustacés,) . Parmi nous , certains érudits affirment
qu'il ne manque que les gorgones pour référencer ce qui existe en matière
de corail mondial , y compris du corail mou qui cache toutes sortes de coquillages.
Soudain , après avoir suivi plusieurs canyons , nous tournons à droite et
accédons sur une place qui nous servira d'ultime arrêt avant le retour au
monde de l'air libre. Sur cette place , nous avons droit au bouquet final
d'un feu d'artifice. On dirait la place de la Concorde le jour de défilé national:
devant nous des bancs de majors jaunes et de papillons mauves forment des
immenses bataillons tellement immenses que l'on a l'impression que la couleur
de l'eau change. Au dessus d'eux , tels la Patrouille de France les pointes
blanches associés à des napoléons obèses survolent avec agilité nos bulles
d'air. Plus tard une raie manta viendra se mêler avec nonchalance à la foule.
Bien malheureusement nos manomètres nous rappellent à nos devoirs de terriens,
et avec beaucoup de regrets nous remontons à la surface où, sans aucun problème,
notre taxi nous attend pour rentrer au port. A chaque fois un sentiment de
joie enfantine mêlé à une frustration de ne pouvoir en profiter plus.
USHUAIA NATURE EN TOURNAGE:
Fakarava nous a révélé ses secrets , et au dire de son grand prêtre (Jean
Christophe) , cette cathédrale possède assez de trésors pour occuper les fidèles
pendant de nombreuses plongées. Cela semble naturel quand on connaît
le potentiel du pacifique Les nombreux atouts de cet océan chaud inconnu de
la mondialisation industrielle expliquent naturellement la diversité et
la richesse de la faune et de la flore.
Mais Fakarava , grâce à ses atouts géologiques et son développement touristique
tardif a du recevoir la bénédiction des dieux. Les croisiéristes qui tournent
aux Tuamotu (Nemo, Archipels, Aquatiki) en on fait une escale obligée , autant
par la qualité du site aquatique que par la tranquillité de la vie à terre.
Reconnaissance suprême, la présence au mois d'avril de toute l'équipe d'
Ushuaia Nature venue finaliser un reportage commencé à Hawaï. Nicolas
Hulot a eu sans doute vent de la réputation grandissante de ce site,
et pour satisfaire ses téléspectateurs avides d'images uniques, il a choisi
Fakarava et sa passe nord pour illustrer un reportage
retraçant la naissance des atolls, depuis l'émergence des îles hautes volcaniques
en passant par l'effondrement de certaines d'entre elles, il y à 5 millions
d'années, ce qui a donné naissance aux atolls à la géographie si particulière.
Les équipes de eauseableue production, en charge des images sous marine ont
pu trouver les conditions idéales pour filmer tout ce qui fait de Fakarava
un élève surdoué pour la télévision: la densité exceptionnelle
du corail qui s'explique par l'absence d'écoulement d'eau géologique
(pas de nappes contrairement aux îles hautes telles Tahiti ou Moorea) la très
grande profusion de requins (indispensable pour
l'audimat), et d'autres pélagiques, grâce à la largeur de la passe
et enfin la tardive ouverture au grand public de cette destination méconnue
par rapport à la vielle Rangirora ou la controversée Mooréa. Parmi l'équipe
en place, un biologiste qui pourra témoigner que ce corail n'a pas encore
été empoisonné par El Nino. Mais le vent est en train de tourner.
L'Atoll est relié désormais quotidiennement par un avion de Papeete et l'ouverture
d'un hôtel d'une cinquantaine de lits en juillet prochain viendra pallier
la faible capacité actuelle des pensions. Le privilège de plongées quasiment
intimes, maîtrisées par la présence d'un seul expert du plan d'eau, risque
de rendre obligatoire la réservation. Un deuxième bateau sera à l'eau pour
satisfaire ceux qui auront le privilège de pouvoir se payer un billet d'entrée
et Fakarava pourra assumer son rôle désormais de favori dans la course à la
médaille d'or des plus beaux sites de plongées.
Nicolas
Hulot sur le "Topikite" , le bateau du centre de plongée
Te Ava Nui à Fakarava.